« On conçoit généralement les voyages comme un déplacement dans l'espace. C'est peu. Un voyage s'inscrit simultanément dans l'espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. Chaque impression n'est définissable qu'en la rapprochant solidairement à ces trois axes, et comme l'espace possède à lui seul trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage une représentation adéquate. Je l'éprouve tout de suite en débarquant au Brésil. Sans doute suis-je de l'autre côté de l'Atlantique et de l'Équateur, et tout près du tropique. Bien des choses me l'attestent : cette chaleur tranquille et humide qui affranchit mon corps de l'habituel poids de la laine et supprime l'opposition (que je découvre rétrospectivement comme une des constantes de ma civilisation) entre la maison et la rue ; d'ailleurs j'apprendrai vite que c'est seulement pour en introduire une autre, entre l'homme et la brousse, que mes paysages intégralement humanisés ne comportaient pas ; il y a aussi les palmiers, des fleurs nouvelles, et, à la devanture des cafés, ces amas de noix de coco vertes où l'on aspire, après les avoir décapitées, une eau sucrée et fraîche qui sent la cave. »