dimanche 22 novembre 2009

Un livre est un livre est un livre...

Pour évoquer notre présentation, il y a quelques jours, du travail de Patrick Corillon, nous vous proposons la lecture d'un texte de Marie-Ange Brayer (directrice du Frac centre), que l'on retrouve aussi sur le site de l'artiste.

L’invention du livre

Mallarmé rêva toute sa vie d'écrire le Livre. Un livre total, contenant tous les livres, infiniment polysémique. L'œuvre de Patrick Corillon, où se rencontrent le récit et l'image, se déploie un peu à la façon de ce livre de tous les possibles. Chacune de ses œuvres s'inaugure dans un texte, embrayeur de l'imaginaire et de la forme. Qu'il s'agisse du comportement étrange de papillons ou de lézards, de biographies saugrenues de personnages célèbres ou inventés, le récit se présente toujours sur le ton sentencieux de l'assertion scientifique : c'est ici le botaniste ou le biographe attitré qui parle : la source de parole est légalisée pour rendre le récit crédible.

Corillon ne fait que rapporter une histoire que quelqu'un d'autre a déjà racontée avant lui : la narration se dédouble car l'œuvre d'art est aussi « doublure » et fabulation de la réalité. Le Livre, ce sont tous ces pseudos-énoncés, comptes rendus biographiques imaginaires qui transforment l'œuvre en réminiscence, trace, empreinte du temps, hypothèse, stance poétique. En réhabilitant la narration, Corillon parvient à la faire agir sur les données de l'espace et du temps qui gouvernent notre perception des choses. L'Auteur est une infinité d'auteurs qui composent une histoire dont nous sommes la trame fictive.
Si l'œuvre prend une apparence objective et neutre, la création de l'image (qui est au confluent du récit et de l'espace) est toujours au plus haut point sensorielle, parcourue de parfums, de tactilité, de clairs-obscurs, mais aussi toujours évanescente, au bord de la disparition. Comme cette tache de moisissure en trompe-l'oeil peinte sur un mur qui, chaque jour, prend une forme différente pour être effacée à la fin par le narrateur, l’œuvre est ce secret, cette présence toujours voilée, cette « image dans le tapis » de Henry James. (Marie-Ange Brayer)